Dès l’ouverture silencieuse, long travelling avant en contre-plongée, le spectateur est amené, en même temps que le soleil se lève, à s’approcher de la First Reformed Church puis à pénétrer à l’intérieur du bâtiment et, enfin, dans l’intimité du protagoniste, le pasteur Ernst Toller.
Magnifiquement interprété par Ethan Hawke, l’homme nous dévoile ses doutes, ses souffrances, au fil d’un journal intime qu’il s’impose de rédiger pour les mois à venir. Le parallèle est facile mais l’autodiscipline narrative du pasteur, sa quête de mots pour coucher son ressenti sur papier, sont le reflet exact de la mise scène rigoureuse de Paul Schrader : composé à 90% de plans fixes, Sur le chemin de la rédemption gagne aussi en solennité par l’emploi du format 1.37.
Si elle renvoie aux premières heures du cinéma, la contrainte technique donne paradoxalement des ailes à Paul Schrader-cinéaste pour illustrer son propre script, lui qu’on avait un peu perdu dans l’inégal The Canyons. Nettement plus habité, Sur le chemin de la rédemption est une introspection austère et douloureuse, celle d’un homme tenu à bout de bras par sa foi depuis de nombreuses années mais qui voit ses convictions ébranléees à la suite d’une brusque prise de conscience. De guide spirituel, Ernst Toller devient en fait guide touristique, accompagnant de rares visiteurs au sein de la First Reformed Church et gérant le « musée » de l’église – en fait une boutique de souvenirs.

Son Dieu n’est plus seul, unique. Il doit désormais s’accomoder d’un autre, plus concret : le capitalisme, dont les effets se font sentir jusque dans ce coin reculé des USA. La rencontre de cet homme d’église avec un activiste écologique, Michael, lui aussi victime indirecte du capitalisme sauvage, va l’amener à repenser le sens de son existence. Le désespoir profond de ce paroissien va progressivement mettre à mal les discours préfabriqués censés réconforter les âmes blessées. La découverte de certaines réalités change ainsi Ernst Toller de manière radicale, le rendant à lui-même pour mieux provoquer une reprise d’autonomie intellectuelle.
Et le dialogue entre les deux hommes de se transformer en joute verbale, loin de la sérénité attendue. Plus tard, le choc de la rencontre avec un grand industriel local – lors des préparatifs d’une célébration des 250 ans de la fondation de l’Eglise -, est un autre élément déclencheur pour le révérend. Le décalage entre l’activité polluante et destructice du bonhomme, son incohérence personnelle quant à sa consommation de produits biologiques, l’attention portée à sa propre préservation rappellent que les États-Unis utilisent quasiment les ressources de six planètes comme la nôtre. Ce qui, sur le long terme, pose un réel problème de survie pour l’humanité dans son ensemble. Dépassé, Ernst Toller est le chaînon impossible entre cet homme de pouvoir et le jeune activiste dépressif. Deux hommes qui ne se renconteront jamais, les profits de l’un générant simplement les angoisses de l’autre. Le contraste est souligné par les lieux où le pasteur rencontre les deux hommes, entre le silence assourdissant de la maison de Michael et la lumière, l’énergie dégagée par le restaurant où se tient la réunion.
Par anxiété climatique, Michael nie la grossesse de son épouse (très touchante Amanda Seyfried). L’humain en général, sa noirceur et son égocentrisme lui sont devenus insupportables. Paul Schrader met ce désespoir en images jusque dans le décor d’une scène d’inhumation supervisée par le pasteur : un sol rongé par les rejets industriels, d’ordinaire interdit aux riverains. A contrario, Mary, sa femme, porte une forme d’espoir en elle, au propre comme au figuré. Faute d’avoir su le faire accepter à son époux, elle s’évertuera à l’offrir au révérend Toller. Y parviendra-t’elle ?

L’un dans l’autre, Sur le chemin de la rédemption narre comment Ernst Toller, homme brisé par la guerre et par la vie, tente de se reconstruire en étant intégré au sein d’une communauté religieuse. Ethan Hawke a reçu de nombreuses récompenses pour son impeccable prestation dans les festivals du monde entier. Dans un article sur les 50 ans de l’acteur, la rédaction de Première remarque : « Si les votants des Oscar avaient de la jugeote, non seulement ça se saurait mais ils auraient récompensé Ethan Hawke pour son rôle de Ernst Toller, un révérend calviniste hanté par(…) la mort de son fils en Irak quelques années plus tôt. Minéral comme jamais, livide, crachant le sang, Ethan Hawke incarne cet homme avec une implication qu’on sent immense. On a l’impression que cette souffrance est la sienne, que le rôle a empiété sur sa réalité, qu’il est prêt à l’engloutir. Mais rassurons nous, il est tout simplement un très grand acteur. »
Précisons que la comédienne Amanda Seyfried était réellement enceinte lors du tournage, élément qui ajoute un surcroît d’émotion à sa relation avec le héros, tout comme le fait que Ethan Hawke ait exactement l’âge de son personnage. Privé de sortie en salles, le long-métrage fait pourtant honneur à A24, studio de production qui n’en finit pas de nous impressionner depuis bientôt dix ans et qui, après l’excellente surprise qu’a été Midsommar nous fait attendre patiemment la sortie de Ste Maud le 30 décembre, qui devait avoir eu lieu ce 25 novembre.
« J’étais à l’hôpital quand j’ai commencé à écrire Taxi Driver, bouffé par la solitude. Je voulais parler de moi, mais l’histoire d’un type alité du matin au soir, ce n’est pas passionnant. J’ai alors pensé : et si je mettais la solitude dans un taxi, qu’est-ce qui se passerait ? », racontait l’auteur-réalisateur lors de sa venue au Forum des images, le 11 janvier 2020. Meilleur film de Paul Schrader depuis sa pemière réalisation, le méconnu Blue Collar, Sur le chemin de la rédemption bouillonne, immobile et sûr de sa puissance. Oubliez donc Joker, car il est là, le vrai Taxi Driver du XXI siècle. Les préoccupations sociales de Travis Bickle ont évolué chez Ernst Toller au point de se déplacer vers les destructions environnementales, mais elles demeurent tout aussi envahissantes pour le personnage central.
Guillaume Banniard et Muriel Cinque
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Félicitations !
Quand on voit qu’il faut des médias alternatifs pour défendre des films comme celui ci.
Merci de le mettre en lumière.
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Voilà qui va faire plaisir aux rédacteurs, merci à vous ! On regrette également qu’un tel film n’ait pas bénéficié de plus d’attention.
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Paul Schrader au sommet. C’est grâce à ce film que Card Counter a eu droit à une sortie en salle. D’ailleurs, il aurait pu s’appeler Sur Le Chemin de la Rédemption.
J’espère que vous allez défendre ce dernier aussi bien que celui ci.
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Merci pour votre lecture, c’est très juste pour le titre français de First Reformed, il aurait parfaitement convenu à The Card Counter. Les auteurs n’auront pas le temps pour un texte cette fois malheureusement, mais ils ont beaucoup aimé le film.
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