Blue Collar

C’est l’histoire d’une gamine dont les parents ne peuvent pas lui payer de soins dentaires. Un soir, quand papa rentre de l’usine, sa femme lui explique. « Elle a essayé de s’arranger au collège, avec du fil de fer ». Lui c’est Jerry, alias Harvey Keitel. Il avance vers sa fille. Elle ouvre la bouche, du sang plein les gencives. Il se retourne, parle à sa compagne : « On va payer le dentiste. Ca fera une traite en plus. » Mains dans les poches, le mec ne chouine pas mais tu sens que ça le travaille. Il tient un foyer modeste. Le dollar l’essore. Et il se déteste pour ça.

Pourtant il se marre Jerry, avec les collègues Zeke et Smokey. Ces trois-là s’entendent comme larrons en foire. Tu passes une soirée avec ces deux afros et notre blanc bec, t’oublies presque l’usine. C’est la rue et les bars, du mâle en galère qui se demande ce qu’il fout là.. Des individus différents qui forment une catégorie sociale. Zeke voit un agent de l’état frapper à sa porte. « Vous avez déclaré six enfants au lieu de trois, pour toucher les aides ». Son épouse part en douce chez la voisine réquisitionner trois gosses en rab, pour être conforme. Imagine le gag.

Smokey, lui, il a pas de femme et encore moins de gosse. Smokey, c’est le plus balaise, moustache saillante et carrure de tracteur. Il drague, sniffe, boit, fait croquer ses potes Zeke et Jerry de temps en temps. Les gus se tirent en pleine nuit pour aller chez Smokey, se détendre un peu. Nuit blanche merveilleuse. Usine au petit matin. On est à Detroit. Religion majoritaire: l’industrie. Leur église, c’est Good Year. Un panneau géant à l’effigie de la boîte domine l’autoroute. Dessus, des chiffres défilent. Le nombre de bagnoles produites cette année. Plus d’un million, vieux.

Scénariste de Taxi Driver, Paul Schrader signait sa première réalisation avec Blue Collar. Il débute son histoire par l’essentiel: les hommes au travail, la chaîne, le bruit. On se croirait devant Avec le sang des autres. La caméra s’approche de Jerry, de Zeke, de Smokey. Des voix, des gueules auxquelles tu crois tout de suite. Des personnages crédibles, attachants au possible. T’as envie d’être là autant qu’eux n’ont pas envie d’être là, les mains dans l’or noir. Antithèse absolu d’un cinéma social déprimant, Blue Collar est rude mais drôle, gaillard.

Nos trois gonzes, fatigués du quotidien et d’un syndicat mou du genou, se posent la question. Et s’ils se le faisaient, le coffre du syndicat? Ce fric c’est le leur, après tout. Le début d’un engrenage bon pour personne. C’est que Paul Schrader a conscience du système, de la main gantée du patronat, de la fatigue des masses qu’on cherche sans cesse à diviser, « le vieux contre le jeune, le Blanc contre le Noir ». Camaraderie et fatigue, les deux mamelles du prolo. T’es à Detroit. L’horizon, c’est la chaîne de montage. Quand il fait nuit, Keitel en voit les flammes s’élever dans le ciel.

Blue Collar, c’est une virée dans le coeur des hommes. Un premier film brillant qui doit beaucoup à ses comédiens et comédiennes, plâtrée de seconds rôles derrière le trio formé par Richard Pryor, Harvey Keitel et Yaphet Kotto. Ce dernier, on le reverra en fringues d’usines, dans Alien premier du nom. Une fois découvert Blue Collar, tu peux plus voir l’un sans penser à l’autre. Comédien exceptionnel disparu début 2021, personnage le plus malmené de Blue Collar, c’est le genre de type avec qui tu rêves d’aller boire des coups avant que le grand capital vienne vous rincer à l’aube.

Guillaume Banniard

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