Crime à froid (They call her One Eye)

Il y aurait un livre à écrire avec les films que des réalisateurs populaires ont sorti de l’ombre. Dans le cas de Crime à froid – plus connu sous les titres Thriller et They Call Her one Eye, film suédois de 1973, combien d’entre nous en ont appris l’existence en 2003, lorsque Quentin Tarantino s’exprimait sur les origines de Elle Driver, la tueuse borgne de Kill Bill ?

Preuve qu’une iconographie spécifique peut nourrir un personnage et son contraire, l’héroïne de Crime à froid trouvait une seconde jeunesse dans un protagoniste avec lequel elle n’a fondamentalement rien à voir. Jeune fille frêle embringuée dans un réseau de prostitution à la petite semaine (en fait une maison de passe où elle est retenue prisonnière), Frigga perdra un œil pour avoir refusé un client. Une diminution physique supplémentaire, l’héroïne étant muette depuis l’enfance, conséquence d’une agression sexuelle qui fait l’ouverture du long-métrage.

Une introduction qui réduit d’emblée à néant les fausses idées que véhicule malgré lui le long-métrage de Bo Arne Vibenius – ancien assistant de Ingmar Bergman. Malgré le charisme phénoménal de sa comédienne, Christina Lindberg, et l’impact visuel de son accoutrement dans la seconde moitié du film, Crime à froid n’a rien d’un défouloir pop à la Kill Bill. Si le film de Tarantino est tout à fait capable d’émouvoir, il s’accompagne de couleurs, de musiques et d’un rythme joyeux qui ne sont clairement pas l’apanage de Vibenius, son film étant l’étendard premier degré d’un genre phare du cinéma d’exploitation.

Ce genre, le rape and revenge (littéralement, « viol et vengeance ») connaît certes d’autres représentants au sérieux affiché. Cinq ans après lui, c’est le Day of the woman de Meir Zarchi qui allait secouer son public en filmant le viol d’une jeune écrivaine durant une demi-heure entière, la victime ne cessant de s’enfuir puis d’être rattrapée par ses tortionnaires, en pleine forêt. Trois décennies plus tard, c’est Irréversible de Gaspar Noé qui allait faire entrer le genre dans une nouvelle ère et scandaliser le festival de Cannes.

Si Crime à froid mérite d’être redécouvert aujourd’hui, c’est en partie parce que le viol y est représenté soit de façon métaphorique (la terrifiante ouverture en extérieur), soit de façon explicite mais longuement contextualisée (toute la partie où l’héroïne est forcée de se prostituer, dont certaines scènes de la version intégrale incluent de glaçants inserts pornographiques). Œuvre au rythme volontairement exsangue, Crime à froid est atmosphérique davantage que belliqueux, le cinéaste faisant conserver à sa comédienne un visage impassible.

Comme mentionné plus tôt, la première agression subie par la jeune fille, durant son enfance, l’a rendue muette. En termes de caractérisation, le procédé décuple l’empathie pour le personnage. Cinématographiquement parlant, l’idée confère à cette figure vengeresse une grâce quasi spectrale, sa silhouette évoquant d’ailleurs celle de Sasori, la femme scorpion, cousine japonaise entrée au panthéon du WIP (Women in Prison, autre sous-genre du cinoche d’exploitation) grâce à l’interprétation sublime de Meiko Kaji dans les trois premiers opus de la saga.

Mais là encore, Crime à froid se distingue de ses semblables, son ambiance réellement pesante et le froid envahissant de ses décors étant cadrés avec un sérieux imperturbable. De quoi faire oublier l’interprétation faiblarde des seconds rôles et mettre en avant le travail plastique de Vibenius, dont une poignée de ralentis hallucinatoires lors de certaines exécutions punitives. Film cruel et racé, Crime à froid fut interdit dans son pays natal, raison de plus pour redécouvrir un travail parmi les plus intéressants du rape and revenge.

Guillaume Banniard

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