Adolescentes

Hilarant, émouvant et plein d’une énergie contagieuse, Adolescentes est de ces films dont le charme fait tomber une à une nos réticences. Celle, immédiate, que des artifices trop voyants parasitent l’expérience ; la musique aurait gagné à disparaître du métrage, y compris lors du final, tant elle ramène parfois le projet aux réflexes d’un reportage tire-larmes. On craint également que le cinéaste Sébastien Lifshitz aille vite alors que le montage affiche une durée souple de deux heures et quart ; l’impression d’assister à de belles anecdotes plus qu’à la construction d’un portrait d’adolescentes nous ramène, là aussi, à des réflexes contemporains, mais la sensation de scrolling sur grand écran disparaît elle aussi.

Pour savourer Adolescentes, il convient de lui laisser une chance, de ne pas rejeter son énergie. Ces années là passent vite, en Corrèze comme ailleurs. Les contenir en un long-métrage, allant de la 4e à la Terminale, est un défi. Plutôt que de résoude l’équation, Adolescentes, oeuvre linéaire, fonce bille en tête avec le seul calendrier scolaire comme repère temporel. Si enjeux émotionnels il y a (premières amours, conflit mère/fille…), ils se dessinent en creux face au brevet des collèges et au Baccalauréat : ici, le besoin de trouver sa voie en dehors des attentes parentales, plus loin la révélation d’une jeune fille portée sur le secteur médical, et ailleurs encore, le parallèle drôle et pertinent entre les familles de Anais et Emma (étonnant sosie de Keira Knightley) au soir des élections de 2017.

Tout dans Adolescentes vibre d’une émotion à fleur de peau. Tout ou presque, car le film prend de la hauteur lorsque ses deux héroïnes disctutent, l’air de rien, d’événements passés qui les ont patiemment construites. A peine une heure dans la salle, mais à l’écran, plusieurs années. De même, Sébastien Lifshitz risque de faire tourner sa dissertation au hors-sujet lorsqu’il insère, sans prévenir, des images de l’attentat islamiste contre Charlie Hebdo. La méthode a le triple mérite laisser le réel nous ramener brutalement au sol en brisant le cocon formé par la complicité des collégiennes, de capter l’éveil d’une conscience politique et de couper court aux artifices de fiction qui trahissent un peu l’aspect documentaire – voir ces scènes où Anaïs se réveille avant de se rendre à son stage, scènes pour lesquelles on doute que le réalisateur et l’équipe se soient installés en silence en attendant l’heure dite.

Tout documentaire pose – et se pose – la question : sachant qu’ils sont filmés, les sujets sont-ils eux-mêmes ? N’ont-ils pas tendance à se mettre en scène au lieu de se révéler, a fortiori pour des adolescentes qui n’ont pas grandi avec les réseaux sociaux mais sont nées dedans ? Si l’on s’en tient à la fabuleuse tirade finale d’Anaïs où la jeune fille met les mots justes sur une époque révolue, le temps passé auprès des filles a fait son oeuvre, comme en témoigne aujourd’hui ce double portrait. Travail de longue haleine qui surpasse de loin Boyhood de Richard Linklater (pure fiction tournée avec les mêmes acteurs sur douze ans de vie), Adolescentes émeut, captive et ravit au point de nous rendre nostalgique d’une jeunesse qui n’est pas la notre. Ce qui est, somme toute, le Graal de tout teen movie !

Guillaume Banniard

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