Why don’t you play in Hell ?

Agité de la caméra, Sono Sion peine à trouver sa place dans les circuits français. La sortie en salles de Guilty of Romance durant l’été 2012, récit d’une amitié féminine tordue, était un pas en avant. Mais c’est celle de The Land of Hope l’année suivante, drame post-Fukushima très sobre, qui permit de le faire connaître. Toujours en 2013, HK Vidéo nous gratifiait du superbe coffret DVD/Blu-Ray dédié à Love Exposure. De quoi rassasier pour un moment les fans de ce leader du mouvement Tokyo GaGaGa, spécialisé dans les happening poétiques.

Le style de Sono Sion est difficile à résumer en quelques lignes tant il pratique un cinéma de l’excès. Un drame horrifique sur deux commerçants rivaux dont l’un fait sombrer l’autre dans une descente aux enfers ? Il en est capable, comme il l’a prouvé avec Cold Fish. Une fresque adolescente de quatre heures bercée de fétichisme et de religion ? Déjà fait, Love Exposure s’imposant comme l’un de ses chefs-d’oeuvre et, malgré sa durée colossale, comme la meilleure porte d’entrée à son cinéma.

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Reste que même avertis, parfois, on arrive à être étonné. Avec Why don’t you play in hell ?, c’est là un euphémisme. Au fil des ans, on voit les détours que la jeunesse nous force à prendre : on traverse un mur, puis un autre, et ainsi de suite. Mis bout à bout, ces accidents forment un monstre magnifique, tendre et écorché vif, qu’on ne voudrait plus quitter. Nommez-le comme bon vous semble : innocence, insouciance, ivresse…

Les films sur le cinéma, on craint souvent d’y trouver un hommage surfait. Bien sûr, l’excellent casting de Birdman et le travail du chef op’ Emmanuel Lubezki lui assurent par exemple une belle tenue. A côté, Why don’t you play in Hell ? ressemble à un récréation à l’éclairage jaunâtre, peuplée de comédiens hystériques. On crie beaucoup dans ce film-là, et on s’y amuse constamment.

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Presque un caprice d’auteur en somme, mais un caprice sans limites, ouvert à toutes les suggestions, ivre d’exubérance. Avec ses quatre personnages principaux qui se renvoient la balle (deux rivaux yakuza, la fille de l’un d’entre eux et un aspirant cinéaste), Why don’t you play in hell ? enquille les récits parallèles, passe une décennie sous silence en une ellipse bien sentie puis redémarre aussi sec pour mieux faire converger ses pics de folie en lieu clos qui peine à tenir le choc.

Il faut dire que cette histoire de chef yakuza cherchant à tout prix à ce que sa fille soit une star de cinéma avant la sortie de prison de la mère de famille (incarcérée pour dix ans après s’être défendue d’un clan ennemi), a de quoi désarçonner. Surtout que la jeune fille (magnifique Fumi Nikaido), jadis vedette d’une pub pour dentifrice, n’est pas forcément en bon termes avec papa (Jun Kunimura, le xénophobe Boss Tanaka de Kill Bill vol.1). Film poupées russes, Why don’t you play in Hell ? conserve pourtant un point de vue sur son histoire cinglée.

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L’affection de Sono Sion va ainsi aux Fuck Bombers, groupe de cinéastes en herbe qui, depuis l’adolescence, n’hésitent pas à filmer du réel pour gonfler leur production value (un mafieux blessé, une rixe…). De vrais fous de l’image, amis proches d’un projectionniste sur le déclin et qui rêvent d’offrir au monde un classique absolu, quitte à ne signer qu’un seul film de leur vie. Les bénéfices sont un souci secondaire, semble dire Sono Sion. Qu’à cela ne tienne : au lieu de moquer pendant cent vingt minutes le cinéma commercial, le long-métrage joint l’acte au verbe.

Malin, Sono Sion se distingue du film râleur qui lui pendait au nez avec un tel sujet, pétant un peu plus les plombs à mesure que son intrigue avance. Why don’t you play in Hell ?, avec son maigre budget, son gore cartoonesque et ses envolées poétiques sanglantes, n’a pas grand chose à voir avec les atermoiements d’un comédien en reconversion égaré dans son monologue. Divertissement pur, Why don’t you play in Hell ? ne perd jamais en charme, conséquence du terrain de jeu unique qu’il se construit scène après scène, jusqu’à un climax façon Kill Bill vol.1 (on n’en sort pas).

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Excédant le seuil de tolérance des non-initiés sans même s’en préoccuper, il pourra donc surprendre les fans de la première heure par son aspect fourre-tout, et fera fuir dès le premier tiers ceux et celles qui n’y sont pas sensibles. C’est dire si sa sortie chez nous, même en DTV, est une excellente nouvelle ! Épuisant car désinhibé, gonflé d’amour et d’énergie, Why don’t you play in Hell ? est bien le fantasme cinéphile que ses héros revendiquent deux heures durant, un fantasme certes bricolé, répétitif à ses heures, mais terriblement attachant.

S’il n’a pas le niveau du génial Love ExposureWhy don’t you play in Hell ? demeure donc un défouloir rarissime. Trop jouisseur, trop foutraque, trop tout.. Bien que le lettrage imposant du générique n’en fasse pas un secret, rappelons à qui on le doit : Sono Sion, 58 ans au compteur et aucune envie de se calmer, chose confirmée par le récent The Forest of Love.

Guillaume Banniard

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