Calamity, une enfance de Martha Jane Cannary

Après avoir conté l’aventure de Sasha, jeune aristocrate partie à la recherche de son grand-père dans la Russie de la fin du XIXe siècle, Rémi Chayé revient sur les écrans pour notre plus grand plaisir. Comme dans le superbe Tout en haut du monde il y a cinq ans, il s’embarque une fois de plus sur le portrait d’une jeune femme en devenir. Martha Jane Cannary fait partie, avec son père et sa jeune sœur, d’un convoi de pionniers qui fait route vers l’Oregon. Non sans difficulté, le père de Martha subit l’autorité du chef du convoi, tandis que l’héroïne doit supporter les quolibets des enfants du chef en même temps qu’elle pallie les maladresses de son propre géniteur.

Si Calamity se présente comme un récit d’émancipation, où une femme sortant du rang est immédiatement rappelée à l’ordre, le réalisateur intègre son propos dans une trame globale où la protagoniste, autant que sa famille, sont régulièrement mis en question. Le système narratif est suffisamment efficace pour que les obstacles immédiats de la future Calamity Jane (mépris de classe, sexisme…) affectent également ses proches dès qu’elle essaye d’y faire face. Les liens familiaux ainsi tissés donnent une vraie résonance à son départ loin du convoi, lorsqu’elle doit récupérer un magot qu’on l’accuse injustement d’avoir volé.

Le travail des scénaristes – Sandra Tosello, Fabrice de Costil et Rémi Chayé lui-même – n’a pas été facile. Les sources historiques racontant l’enfance de cette figure du farwest, ainsi que le reste de sa vie d’adulte, sont uniquement celles laissées par une affabulatrice, qui a scénarisé sa vie bien plus qu’elle ne l’a racontée et ce, même dans les lettres à sa fille. Dans un univers masculin, Calamity Jane s’est protégée comme elle le pouvait. Ici, c’est rien moins qu’une histoire d’honneur familial que raconte Rémi Cahyé. Durant la traversée, au sein du groupe autant qu’en solitaire, Martha Jane doit constamment montrer de quel bois elle se chauffe. Quitte, façon Mulan, à se faire passer pour un garçon les premiers jours de son escapade afin de se faire entendre de ses compagnons de route.

Seul un personnage secondaire, Madame Moustache, découvrira la supercherie, se moquant au passage de l’inattention et de la naïveté de ces derniers. Très juste sur le papier, le parcours de Calamity est merveilleusement retranscrit en termes émotionnels : capitalisant sur les acquis de Tout en haut du monde, le créateur transporte sa palette de l’univers glacé du grand nord à celui, moins rude, des grandes plaines américaines. Pur film d’aventures, Calamity, une enfance de Martha Jane Cannary traverse des paysages sauvages dont les aplats colorés, sans cernes, réinventent discrètement l’imagerie du western en soulignant un peu plus l’immensité des espaces.

La véritable Calamity Jane en 1895, à Deadwood.

Féministe au beau sens du terme, le film a obtenu le cristal du long métrage au festival d’Annecy qui s’est tenu en ligne en cette sale année 2020. Enfantines en apparence, les couleurs et l’animation s’avèrent somptueuses de maîtrise. Partie à la recherche d’un animal évadé en début de métrage, la jeune Calamity en découvre la carcasse éventrée au sein d’un bois. Jetée en pâture aux même aplats de couleurs chaleureux qui bercent l’ensemble du voyage, l’image confronte l’héroïne et le jeune public à la mort avec une force insoupçonnée, sans perdre ses atours d’aventure initiatique. Une qualité de plus à mettre au crédit de cette production, énième preuve de la vitalité de l’animation hexagonale et dont la réussite doit aussi beaucoup au talent de la voix française de Calamity, Salomé Boulven.

Guillaume Banniard et Muriel Cinque

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4 réflexions sur “Calamity, une enfance de Martha Jane Cannary

  1. Un des meilleurs textes lus sur ce film français. Le parallèle avec le boulot d’historiens montre à quel point l’animation est un média noble et non anecdotique ou mineur. Belle idée que cette photo de Calamity.
    Félicitations aux auteurs.

    Aimé par 1 personne

    1. Message transmis aux deux auteurs, qui vous remercient chaleureusement ! Ils ont aussi pris le temps de défendre Josep si la lecture vous tente, autre beau mariage entre récit historique et animation française.

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  2. Merci pour l’éclairage historique de cette merveille.
    C’est vrai que la légende a la peau dure.
    Les historiens le savent depuis 1941 que les lettres et le reste sont des faux.
    Mais Hollywood est passé par là.

    Félicitations pour cette critique.

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    1. Un grand merci à vous Didier, les auteurs ont tenu à re contextualiser un peu la chose tout en défendant ce beau film. Si vous n’avez pas vu Tout en haut du monde, n’hésitez pas, c’est une merveille!

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