Titanic : Jack et la mécanique du coeur

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James Cameron n’est jamais meilleur que lorsqu’il parle du temps.

Celui qui, dans Teminator 2, hante Sarah Connor tel un compte à rebours. Celui qui, dans Avatar, a vu les hommes dépouiller leur planète durant des années avant d’aller conquérir Pandora. Ou encore celui qui, dans Aliens, sépare Ripley de sa fille laissée sur Terre durant les longues années où elle a erré en hyper sommeil. Unique Cameron inspiré de faits réels, Titanic est aussi son seul film d’époque et, logiquement, celui au sein duquel la notion de temps occupe la plus grande place, davantage même que dans les paradoxes temporels de la saga Terminator.
Une fixation qui nourrit le long-métrage en termes narratifs, visuels et thématiques. Titanic abordant son sujet avec des outils de fiction, ces trois axes ne sont pas investis à tour de rôle mais de manière simultanée, non didactique. Bien entendu, pas question de placer des cartons explicatifs relatant des détails historiques. Si Titanic vibre de bout en bout d’une fascination pour le temps, elle s’exprime par des éléments qui influent sur les scènes suivantes, au point de consacrer deux tiers de l’oeuvre à l’idylle de Jack et Rose. Soit la même portion qui sera accordée à la découverte de Pandora dans Avatar, avant d’engager les hostilités.
Qu’il regarde vers le passé ou spécule sur l’avenir, le cinéaste adopte la même architecture scénaristique, récit en flash-back inclus. C’est néanmoins sur Titanic que cette structure fonctionne le mieux tant elle souligne et embellit jusqu’aux détails de la direction artistique, véritable tour de force digne dans son ampleur de Lawrence d’Arabie et autres Guerre et Paix. Au sujet de ce dernier, on parle ici de la stupéfiante adaptation signée Sergueï Bondartchouk, fresque de 6h45 aux crédits de production illimités, avec à sa tête un réalisateur connu pour expérimenter dans tous les sens qui se sera autorisé une bataille avec 10.000 (vrais) figurants.

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La comparaison peut être utile pour comprendre le défi représenté par Titanic en termes de production, film à ce point vu et revu que l’on en oublie la somme de départements artistiques, techniques et économiques qu’il a impliqués. Pourtant, rien durant la séance qui ne trahisse une hésitation, voire un renoncement au stade du tournage. Parce que la temporalité est au coeur du projet, Titanic garde à l’esprit cette notion vitale et fonce sans s’arrêter durant 3h15, au sens où il fait constamment vivre son excellent casting avant d’en mettre plein la vue. En conséquence, la galerie de personnages secondaires qu’il déploie n’est jamais rabaissée au rang de faire-valoir du couple vedette.

Romance filmée comme un récit d’aventures doublé d’un film catastrophe vécu au rythme d’une love story, le long-métrage n’est pas vraiment un récit en duo. Si on peut le raccorder à Autant en emporte le vent (pour son faste), voire à Sur la route de Madison (pour son récit en flash-back modifiant peu à peu la perception des protagonistes qui l’écoutent), Titanic n’en reste pas moins attaché au point de vue féminin de son récit. C’est ainsi que Cameron opère, à l’écriture, une superbe trahison du contrat passé avec le public. Car en dehors des scènes où elle est présente, comment Rose peut-elle savoir ce qu’ont vécu les autres passagers ?

C’est bien entendu impossible. A vrai dire, même si Rose avait le don d’ubiquité, il lui aurait fallu prendre des notes précises au moment des faits, notes qui n’auraient pas survécu au naufrage. Et Titanic de se construire, par la plume, sur une alternance entre le strict point de vue de Rose, narratrice sélective proposant de raconter le drame comme elle l’a vécu, et celui du réalisateur lui-même, narrateur omniscient par essence. Une alchimie d’écriture traduite à l’écran par des instants aussi viscéraux que le regard et le souffle coupé de la petite Cora, cette enfant qui lève les yeux au ciel vers des fusées éclairant un navire déjà en partie immergé.

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Alors qu’ils nous content un voyage dont chacun connaît l’issue tragique avant d’entrer dans la salle, Cameron et son équipe tentent de saisir au vol les instants les plus atonals vis-à-vis du drame à venir. Si la leçon de crachats par dessus bord fait sourire, elle possède, à première vue, la même fonction récréative que la fête où se retrouvent Jack et Rose pendant que, grâce à un montage parallèle, nous revenons régulièrement sur les hommes réunis autour d’un brandy dans une ambiance autrement plus guindée. L’effet de contraste est une astuce vieille comme le cinéma, or elle sert ici à jongler une nouvelle fois entre le point de vue de Rose et celui du cinéaste aux commandes.

Et si le regard émerveillé de la petite Cora cité plus haut fait sens, c’est dû à la place accordée par le script à ce personnage faussement anodin. Car l’enfant est aussi celle qui dansait avec Jack avant qu’il n’abandonne sa jeune cavalière au profit de Rose, sous l’oeil jaloux de la fillette. D’un côté, une danse baignée de rires et de bière où les regards, les gestes de Jack, Rose et Cora se sont effectivement croisés, la narratrice ayant choisi d’évoquer ce très jeune personnage dont elle garde, on l’imagine, un souvenir ému. De l’autre, un cinéaste qui choisit de cadrer à nouveau le visage de la petite fille, l’espace d’un instant apaisé dont le couple n’est pas témoin.

Que le montage privilégie l’épave du navire pour ouvrir et refermer le récit n’a ainsi rien d’un hasard, Cameron s’attardant longuement sur l’écho émotionnel et la valeur archiviste des objets qui y demeurent, vestiges d’hommes, femmes et enfants qui sont autant de dépouilles à la dérive. De même, le film a beau profiter d’accessoires grandioses, l’origine et la destination de son intrigue reposent sur un seul de ces objets : le fameux Coeur de l’océan qui aura occupé l’existence du personnage incarné par feu Bill Paxton, comme il aura maintenu en vie la mémoire de celui joué par Kate Winslet et Gloria Stuart. Presque une chimère en soi, à l’inverse des pertes humaines.

Spectacle grisant, Titanic ne sacrifie pas son contexte au profit de sa romance. Il est même étonnant de le voir qualifié d’oeuvre fleur bleue tant il illustre avec une même passion chaque strate de son récit, d’une partie de cartes victorieuse à un cimetière glacé à ciel ouvert, dont émerge l’image traumatisante d’une mère et de son enfant tués par le froid. En chemin, Cameron nous aura fait partager comme jamais son amour pour les machineries, l’homme mettant un genou à terre devant ce monstre voué à l’échec que fut le paquebot, dont la salle des machines occasionne une scène de poursuite étourdissante – passage dont on trouvera un bel héritage dans le futur Steamboy de Katsuhiro Otomo.

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Ne pas se tromper néanmoins : malgré la capacité surnaturelle du long-métrage à faire vivre ce microcosme, le spectre du temps plane tout du long sur cette oeuvre sentimentale. Celui qui s’écoule avant que l’océan ne viennent semer la mort, et celui que James Cameron consacre, lors de parenthèses particulièrement remuantes, à diverses victimes plus ou moins anonymes. Davantage que le suicide d’un membre du personnel ou le triste sort réservé à Fabrizio, c’est l’image silencieuse d’un couple âgé bientôt atteint par les eaux, qui marque durablement. Sans doute deux lignes sur le papier, mais à l’écran, un plan parmi ceux qui donnent toute sa noblesse au voyage.

Voilà comment Titanic a pu s’imposer dès sa sortie comme un classique en puissance, film à ce point allergique au cynisme et à la dédramatisation qu’il les défie en permanence. Arrivé au bout de son crescendo dramatique, Cameron achèvera sa symphonie sur un mouvement final splendide. Lancée à vive allure, la caméra y remonte l’épave du Titanic (et le temps) pour ressusciter les passagers et les proches de l’héroïne. Le public passe ainsi d’une vue subjective à un plan d’ensemble, le temps de partager le point de vue de Rose jusqu’à ce que le fantôme de Jack ne lui tende la main, le cinéaste prenant ensuite le relais, une dernière fois, au poste de narrateur.

Un instant de pur cinéma, équilibre entre effets spéciaux et narration qui est peut-être le plus bel accomplissement du cinéaste-ingénieur aux côtés du dernier plan de Aliens le retour. Un film à la tonalité bien différente mais qui se refermait lui aussi sur un personnage féminin endormi, enfin à l’abri du danger suite à une épreuve de force dans un lieu isolé. Soit un autre récit où l’intime et le gigantesque vont de pair. Alors certes, l’homme a tourné seulement huit long-métrages de fiction en tout, mais c’est sans doute là le prix à payer pour bâtir de tels monuments…

Vingt ans après sa sortie sur nos écrans, Titanic conserve toute sa discipline narrative. Mais quitte à trouver un autre film historique dont le plan final superpose diverses temporalités avec une telle puissance, c’est dans une autre période de la jeune carrière de Leonardo DiCaprio que nous irons le chercher, à l’occasion d’un prochain article-anniversaire.

Guillaume Banniard

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