L’Œuvre de Steven Spielberg : l’Art du Blockbuster – Vol. 1

L’ŒIL QUI EN VOYAIT TROP

Le cinéma est-il de la littérature illustrée, ou un art audiovisuel ? Sur sa chaîne YouTube Le CinématoGrapheur, Victor Norek se fait un devoir de répondre à cette question.

Comment ? En « décortiquant » chaque film au scalpel, initiative d’autant plus salutaire qu’on n’en a de moins en moins le temps, à l’ère de l’infobésité.

Aussi, quel plaisir de voir le même homme pondre un de ces pavés qui réclament des mois de digestion. Le genre de bouquin qu’on dévore comme une série Netflix avant de réaliser, des semaines plus tard, qu’il a semé quelque chose en nous.

Les symptômes ? Des spasmes d’idées aliens et une tendance à projeter du sens sur tout et n’importe quoi. Puis, soudain, ce besoin de replonger dans la bible à l’origine de tout ça, encore et encore.

Plus d’un an après sa sortie chez Third Editions, retour donc sur L’Œuvre de Steven Spielberg : L’Art du Blockbuster – Volume 1.

SPIELBERG LIGHTING PLAYBOOK

Découpé en trois parties – Spielberg Autobiographique, Spielberg Cinématographique et Spielberg Politique – , ce premier volume d’un diptyque dont la suite est prévue pour mai 2025 est aussi dense que clair dans ses intentions.

Proprement illuminé, Viktor Norek embrasse absolument tout de Steven Spiel-Berg – ou « jeu-montagne » en Allemand. Mais pas sans structure !

Quand Spielberg joue avec son patronyme comme un gosse avec sa purée.
Les Aventuriers de l’Arche perdue
– 1981

À une première partie portraiturant l’homme dans le miroir de ses films les plus autofictionnels, succède une deuxième mettant à jour les fondamentaux de sa grammaire, et sa vision ludique du cinéma. Une fois familiarisé avec ces deux premières facettes de l’art du blockbuster maker, vient alors dans une troisième et dernière partie la question de sa portée politique – sous-estimée ? cryptée ? ambivalente ?

D’une logique élémentaire, ce plan permet à Victor Norek de naviguer d’une échelle à l’autre dans l’univers spielbergien, et révéler petit à petit son arrière-monde. À chaque chapitre son film et son angle d’attaque privilégié, si bien que tout un chacun devrait y trouver du grain à moudre.

Ne pas croire cependant que le menu soit parfaitement à la carte.

Bien sûr, libre à la lectrice ou au lecteur de commencer par l’impressionnant plat de résistance consacré à Minority Report [2002]. Ou même par la fin et ses sujets, tel Munich [2006], qui ruineraient n’importe quel repas de famille. Mais en feuilletant l’ouvrage ainsi, on risque d’y perdre en niveaux de lecture.

Car, chapitre après chapitre, l’air de rien, Victor Norek tisse un fil de pensée. Lequel pointe la cohérence et la dynamique d’une filmographie construite phase après phase, où chaque projet exprime (voire exorcise) ce qui travaille Steven Spielberg à un moment donné de sa vie.

Il faut dire aussi que, de E.T. l’extraterrestre [1982] à The Fabelmans [2023], puis de Rencontres du troisième type [1978] à Minority Report, et enfin de Poltergeist [1982] à West Side Story [2021], les perspectives ouvertes sont nombreuses. Et pourtant la somme dépasse les parties, à l’image de cette carrière où tout nouveau métrage éclaire rétrospectivement ses prédécesseurs.

Mieux que ça : plus on s’investit dans sa lecture, plus l’ouvrage colonise nos pensées, son auteur esquissant, avec ses Intermèdes séparant chaque partie, des chemins de traverse qu’il n’appartient qu’à nous de poursuivre…

Alfred Hitchcock appelait ça la « direction du spectateur ». Leçon bien comprise par Steven comme par Victor, et ce dès le premier chapitre analysant en détail l’ouverture muette d’E.T. l’extraterrestre à travers la question du point de vue.

La main d’E.T. dirigeant notre regard comme la baguette d’un chef d’orchestre.
E.T. l’extraterrestre – 1982

Victor Norek ne se contente dès lors pas de surligner ce qui fait de Steven Spielberg ce qu’il est, un « auteur total » (sic), le prisme où se concentre et d’où se déploie tout le travail de sa famille de cinéma – dont notamment Michael Kahn au montage, John Williams à la musique et Janusz Kamiński à la photo.

Obsessions thématiques, motifs visuels, goût pour la réflexivité : il ne s’agit pas de simplement dresser leur liste à la Schindler. Il s’agit d’en suivre les évolutions, analyser les métamorphoses, décrypter les échos et interpréter les retournements.

En somme : ouvrir la boîte de Pandore plutôt que la ranger dans une case, façon Tetris, de la pop culture mondialisée.

Quand tu regardes un film de Spielberg, Spielberg regarde en toi.
Les Aventuriers de l’Arche perdue – 1981

MAPPING THE PATH

Ambitieux, on l’aura compris, L’Œuvre de Steven Spielberg : L’Art du Blockbuster – Volume 1 l’est comme un gamin aux yeux plus gros que le ventre.

Il est tout aussi humble, ceci dit – question de méthode !

Comme tout cinémaniaque, Victor Norek a en effet accumulé un certain bagage à force de voir et revoir les films, ou de lire et relire les « décortiqueurs » qui l’ont précédés. D’où ce réflexe de citer ses sources, rigueur d’autant plus appréciable qu’elles ne sont pas expédiées sous forme de notes absconses en fin d’ouvrage.

Extraits de podcasts, webzines, blogs, revues papiers, conférences, documentaires et autres bouquins : l’auteur les intègre naturellement à sa prose.

Et après tout, Tonton Spielby n’a jamais fait autre chose. John Frankenheimer, Alfred Hitchcock, David Lean, John Ford, Frank Capra, Chuck Jones, Akira Kurosawa, Norman Rockwell, … : lui aussi est un fils de. Ce qui ne l’aura pas empêché de devenir notre Père Castor de cinéma à presque tous, lui le cinéaste de la « reproduction des gestes du mentor ».

L’une des signatures spielbergienne : connecter deux personnages agissant comme un seul, ou un personnage et sa représentation métonymique.

Victor Norek place quant à lui ses pas dans ceux de Jean-François Tarnowski (dit Tarno, on y reviendra), Pierre Berthomieu, Jean-Pierre Godard, Rafik Djoumi, Susan Lacy, Nigel Morris, M. Bobine ou encore Jean-Baptiste Thoret. Autant de noms parmi ceux auxquels il paye sa dette, pour mieux aller plus loin.

Son but ? Non plus réhabiliter l’ancien « fossoyeur du cinéma » – ce qu’était Spielberg pour la frange la plus snobe de la critique dans les années 1980-90 – mais « comprendre l’infinie complexité de son œuvre ».

Jeter un œil dans ce livre, c’est donc s’exposer à mille et une réflexions – au propre comme au figuré d’ailleurs, tant son auteur s’attarde sur ces figures essentielles du cinéma spielbergien que sont les métaphores du 7e Art.

Une des mille et une images réflexives de Tonton Spielby.
La Guerre des mondes – 2005

Un art a priori si évident que tout le monde le capte intuitivement. À ceci près qu’au moment de mettre des mots sur ces images, d’expliquer en quoi le cinéma de Spielberg est un art si intelligible : silence radio, comme si l’on se découvrait soudain dyslexique.

Or, si comme le dit Tom Hanks, Steven Spielberg « pense cinéma », c’est parce que c’est lui qui est atteint d’une sévère forme de dyslexie. Diagnostic dont on nous explique, après Susan Lacy dans son documentaire Spielberg [2017], qu’il a été posé très tard : au début des années 2010, infusant au passage l’adaptation du Bon Gros Géant [1982] de Roald Dahl, en 2016.

Alliant documentation et « décorticage », Victor Norek a ainsi opéré une sorte de rétro-ingénierie, déconstruisant une œuvre toute entière faite de métaphores visuelles se répondant de films en films.

Sauf qu’au lieu de s’arrêter là, à l’endroit où beaucoup d’autres se seraient alors retranchés derrière une muraille jargonneuse et autosatisfaite, lui a entreprit le voyage de retour vers Monsieur et Madame Toulemonde. Soit le long et précieux travail de la vulgarisation, qui justifie les 430 pages de ce premier volume.

Ce n’est bien sûr pas la première entreprise du genre, mais on doute qu’aucun autre « décortiqueur » ait, d’un côté, plongé si profondément dans l’analyse du cinéma de Steven Spielberg ; et, de l’autre, l’ait fait tout en nous tenant si fermement par la main.

La main de Viktor Norek comme celle du BGG ?
Le Bon Gros Géant – 2016

RIDDLES OF THE ALIEN ART

Très proche des images mais jamais dans la paraphrase, porté sur la symbolique mais toujours à l’intérieur du système formel mis en place par le cinéaste, Victor Norek se veut donc l’interprète du phénomène Spielberg.

Mais pourquoi au juste cette marotte du « décorticage » ?

Le fait que l’auteur de L’Œuvre de Steven Spielberg : L’Art du Blockbuster – Volume 1. est adepte de la « Méthode Tarno », c’est-à-dire l’analyse de séquences plan par plan chère à Jean-François Tarnowski. Approche d’autant plus efficace ici que Third Editions, une fois n’est pas coutume, l’a laissé appuyer son propos avec pas moins de 650 photogrammes du plus beau des noir & blanc !

Comme l’écrit Rafik Djoumi dans la préface, le cinéma de Steven Spielberg s’apparente à une « magie opérative et limpide pour toute l’humanité [en même temps qu’un] objet qui semble paralyser le monde critique et universitaire, trop souvent incapable de l’analyser. »

Véritable défi pour l’intellect – comme si l’on était soudain confronté à un OVNI ou parachuté 3000 ans en arrière ! – , ce cinéma opèrerait à la fois en deçà et au-delà du Verbe.

Ébloui (emporté) ou aveugle (sceptique) : deux réactions typiques devant un film de Spielberg.
Rencontres du troisième type – 1977

Autrement dit : le langage de Steven Spielberg serait si fondamentalement celui du cinématographe que, chez lui plus que chez n’importe quel autre cinéaste, chaque plan, raccord ou mouvement de caméra s’apparenterait à une phrase, une ponctuation ou une rime dans la symphonie de la mise en scène.

Or, qu’on se le dise : la moindre seconde d’un côté de l’écran équivaut à des jours de gestation de l’autre. C’est la relativité du temps appliquée au cinéma !

En conséquence de quoi, les créateurs ont le temps de se poser tout un tas de questions sur ce qui fera effet ou pas sur le public, même sans qu’il s’en rende compte. Ce temps, c’est aussi celui de rendre évident ce qui ne l’était pas sur le papier, d’exprimer quelque chose que n’explicite pas le scénario.

Problème : pour avoir pleinement accès, côté spectateur, à cette plus-value artistique, il faut là aussi pas mal de temps : celui de déchiffrer la syntaxe audio-visuelle pour ensuite essayer de comprendre la pensée en action qui se manifeste à l’écran.

Le jeu en vaut néanmoins la chandelle tant la Méthode Tarno permet de remonter aux intentions du cinéaste. Chose d’autant plus utile ici que, contrairement à ses plus éloquents camarades du Nouvel Hollywood, Steven Spielberg est tout sauf dissert quant à la signification de ses œuvres, au point qu’il refuse purement et simplement l’exercice du commentaire audio.

Résultat, lorsque Viktor Norek nous invite à revoir Rencontres du troisième type à travers ses lunettes d’initié, ça donne ce genre de passage lumineux :

« Spielberg, trente ans avant d’être diagnostiqué dyslexique, réalise une œuvre qui explore les difficultés de communication entre les humains et rêve d’un langage universel, basé sur le son et la lumière, qui dépasse l’entendement des plus grands hommes de sciences. »

Ou bien, lorsqu’il nous fait redécouvrir Le Terminal [2004] :

« Le Terminal (le film), autant que le terminal (le lieu), est le reflet d’un pays qui s’est refermé sur lui-même, qui est maintenant devenu l’antithèse de ce qu’il proposait […]. Ce n’est plus qu’un décor factice qui laisse croire ce qu’il n’est pas, une publicité mensongère pour lui-même […] »

Ou encore, dernier exemple :

« La Guerre des mondes [2005], à travers ses jeux d’échelle qui résument parfaitement les intentions du cinéaste, nous décrit une crise familiale à l’ampleur planétaire. Infiniment petit et infiniment grand sont liés par la mise en scène, qui nous explique dès le premier plan qu’une seule cellule peut symboliser la Terre, et, inversement, qu’une invasion extraterrestre peut devenir équivalent à l’histoire de la famille Ferrier. »

Victor Norek photographié à Paris par Guillaume Arnoult, pour La Dépêche.

DOUBLE FEATURE MAN

Alors quoi ? Serait-ce nous, son public, qui n’aurions cessé de lui coller des étiquettes sur le dos, comme Leonardo DiCaprio avec ses faux chèques dans Arrête-moi si tu peux [2003] ? Ou serait-ce lui, Steven Spielberg, qui serait incapable de faire de ses films des autoroutes à sens unique ?

L’identité (floue) de Spielberg comme celle de son avatar, le faussaire Frank Abagnale Jr. ?
Arrête-moi si tu peux
– 2003

C’est une chose qui, de fait, se dévoile au fil de la lecture de L’Œuvre de Steven Spielberg : L’Art du Blockbuster – Volume 1 : l’homme et l’artiste se sont longtemps cherchés, rejetant par exemple père et religion (juive) avant de renouer, des années plus tard, avec l’un comme l’autre… pour ensuite se confronter à leur pays… puis à leur propre reflet…

Une quête identitaire que les divers avatars de Steven, tout au long de l’œuvre-vie de Spielberg, reflètent : phobiques confrontés à leurs terreurs, illuminé possédé par une vision mystique, enfants abandonnés puis marchant sur les traces de leur paternel, faussaires, apatrides, etc. 

De même, on ne compte plus dans cette carrière les coups doubles aux airs de grands écarts : les films miroirs E.T. l’extraterrestre et Poltergeist, La Liste de Schindler [1994] tourné en parallèle du montage de Jurassic Park [1993], ou plus récemment Ready Player One [2018] sorti en France à peine deux mois après Pentagon Papers [2018].

Comme s’il y avait deux Steven Spielberg en un, résultat de la déchirure prophétisée par l’oncle Boris au jeune Sammy dans The Fabelmans.

The Fabelmans – 2023

À moins qu’il s’agisse d’une conscience aiguë de l’ambiguïté des images ? Et donc du grand pouvoir et des grandes responsabilités qu’il incombe à celui qui les manipule ?

Chaque image en effet, surtout au cinéma, montre et trompe en même temps, puisqu’elle est forcément partielle et partiale, le produit d’un unique point de vue à un instant T.

Ou comme l’explique Victor Norek à propos de Sugarland Express [1974] :

« La même histoire peut ainsi être vue sous une multiplicité d’angles différents, et elle aura un sens différent selon la façon dont on la regarde, une notion qu’il [Spielberg] doit au Rashômon [1950] de Kurosawa, que lui a fait découvrir son ami George Lucas. »

Leçon exemplairement appliquée dans Amistad [1998] où, faute de comprendre l’anglais, Djimon Hounsou / Cinque est contraint « d’interpréter les signes de ce qu’il se passe autour de lui, d’aller au-delà des mots, en pur héros spielbergien. » Alors qu’au même moment, les anglophones manipulent le Verbe pour fixer à la fois l’essence et le destin de son groupe d’esclaves : biens meubles (donc non libres) ou êtres humains (donc libres).

De là découle tout un questionnement sur la nature du cinéma.

Un questionnement qui, en germes depuis le début, aurait atteint un seuil critique chez Steven Spielberg dans les années 2000, période la plus frontalement politique de son œuvre.

Prenez Minority Report, cette dinguerie qui, deux décennies après, nous regarde plus que jamais droit dans les yeux, nous et notre pulsion sécuritaire appelant une justice prédictive. Nous et nos outils numériques nous orientant vers un capitalisme toujours plus ubiquitaire. Nous, in fine, et notre rapport bien plus flou qu’on ne veut bien l’admettre au réel et sa représentation.

La double conscience des images spielbergiennes illustrée.
Minority Report
– 2002

Prenez Munich, et la façon dont il rejoue au sein de l’œuvre spielbergienne ce que les années 1960-70 ont représenté dans l’histoire du cinéma américain : ce moment de doute existentiel, de perte d’innocence (du moins pour la génération des boomers) et de quasi-guerre civile par les moyens des images (presse, télé, cinéma).

Prenez enfin Arrête-moi si tu peux, à la fin duquel son anti-héros caméléon se confronte à la plus cruelle des fictions dans la fiction : « condamné à regarder [son foyer idéal où on l’a littéralement remplacé] derrière une vitre alors qu’il se trouve dehors dans le froid. »

Arrête-moi si tu peux – 2003

SHOW MUST BLOW UP ? WOULD IT HELP ?

Politique, le cinéma spielbergien l’aurait cependant toujours été, précise l’auteur de L’Œuvre de Steven Spielberg : L’Art du Blockbuster – Volume 1. Mais moins en assénant des idées abstraites au public qu’en l’amenant à s’interroger sur ce qu’il voit.

22 ans avant les attentats du 11 septembre 2001, dans la farce 1941 [1979] par exemple, le cinéaste nous montrait comment l’Oncle Sam aurait été pour la première fois de son histoire attaqué sur son propre sol… par un « spectacle », au sens où l’entend Guy Debord.

-> comprendre : un évènement dont la doublure médiatique et publicitaire remplace l’original, en l’occurrence ici l’attaque japonaise de Pearl Harbor le 7 décembre 1941.

Soit un phénomène dont, deux décennies plus tard, les premières minutes de Munich révèle justement le contre-champ, mesurant par là même l’écart entre une sordide prise d’otage (celle des J.O. de 1972 filmée de l’intérieur) et la bombe médiatique qui en a résulté (l’an 0 du terrorisme international, suivi en direct par 900 000 téléspectateurs).

Quand l’image médiatique est plus spectaculaire que la réalité, priorité au direct !
Munich
– 2006

Or c’est là que l’ambivalence de Steven Spielberg devient passionnante. Parce qu’il ne se situe ni dans le camp de Jean-Luc Godard (le cinéma c’est la vérité 24 fois par seconde), ni dans celui de Brian De Palma (le cinéma c’est le mensonge 24 fois par seconde).

En 1982, il affirmait plutôt, pragmatique :

« Pour moi, l’écran est un gigantesque aspirateur qui doit s’emparer des gens et les recracher brutalement deux heures plus tard sur le trottoir, éblouis, stupéfaits, heureux et tremblants. »

Comme Victor Norek le souligne, le cinéaste évoquait alors Poltergeist, dans une scène duquel un duel de télécommandes résonnait étrangement alors qu’un ancien acteur de séries B (dont des westerns), Ronald Reagan, venait d’accéder à la présidence de la première puissance mondiale.

Les écrans avaient-ils donc déjà aspiré tout le réel ? à cette époque ?

Le film de Tobe Hooper, lui-même plus ou moins télécommandé par son scénariste et producteur tout-puissant Steven Spielberg, témoignait en tout cas de la place centrale prise par la télévision dans les foyers américains : celle de l’âtre de la cheminée, précisément.

Incidemment, Victor Norek montre à quel point, chez Steven Spielberg, on navigue sans cesse du trivial vers le spectacle. Et comment la fiction y dialogue toujours avec une certaine réalité documentaire.

D’où la récurrence des aéroports et des banlieues dans sa filmographie – jusqu’au village-témoin atomisé au début du Royaume du Crâne de Cristal [2008]. Sans parler des malls : ces immenses galeries commerciales où les premiers blockbusters du cinéaste ont explosé le box-office. Mais aussi ces vitrines d’une Amérique à double standard sur laquelle on ironise dans la séquence I feel pretty de West Side Story.

Parce que, comme la télé hier et internet aujourd’hui, tous ces non-lieux sont partie intégrante de notre vie quotidienne, et donc pourvoyeurs d’histoires au même titre que la Rome en ruine du néoréalisme italien. Ce qui n’empêche pas le cinéaste, très régulièrement, de pointer de la caméra le caractère aliénant de cette culture de l’image.

La preuve au tout début de West Side Story : de la peinture en trompe-l’œil du futur Lincoln Center for Performing Arts à un univers stérile et nihiliste, où l’on parle de destruction mutuelle assurée (le credo de la Guerre froide) en confiant à un sale gosse un pistolet pour qu’il remplisse sa fonction léthale en cascade, il n’y a qu’un fluide mouvement de caméra. Comme un dévoilement, une Apocalypse au sens étymologique de révélation.

L’ouverture virtuose de West Side Story – 2021

Dans ce cadre, s’il fallait rapprocher Steven Spielberg d’un seul autre cinéaste, ce serait donc, évidemment, de John Ford : celui qui filmait à la fois du côté de la légende et de sa dénonciation dans L’Homme qui tua Liberty Valance [1962]. Comme le fait à son tour Steven Spielberg avec le père de la nation américaine dans Lincoln [2013], ou avec celui d’Indiana Jones dans La Dernière Croisade [1989].

D’une figure tutélaire et ombrageuse (apparentée à sa statue du Lincoln Memorial pour Abraham Lincoln et à une icône médiévale pour Henry Jones Sr.), on passe ainsi à un être de chair de sang, plein de doutes et de malice. Une Apocalypse là encore, mais où c’est l’humanité des personnages (historiques ou imaginaires, peu importe) que Tonton Spielby nous dévoile.

Lincoln, de dos, face à ses troupes dans Lincoln – 2012.

TO BE CONCLUDED, BUT NOT YET…

« On va avoir besoin d’un plus gros livre ! »

Voilà comment Victor Norek referme L’Œuvre de Steven Spielberg : L’Art du Blockbuster – Volume 1. : sur la promesse en forme de cliffhanger d’un travail encore plus conséquent pour le Volume 2.

On en attendait pas moins du décortiqueur en chef, tant il semble être en symbiose avec son cinéaste de cœur, lequel faisait dire à son président favori : « une fois que j’ai commencé, je suis trop feignant pour m’arrêter. »

Blague à part, on l’a vu, ce premier volume est plein comme un œuf. De quoi expliquer, à son tour, la longueur du présent texte, qui n’ira lui non plus pas plus loin pour le moment.

La suite au prochain épisode…

Mathieu Faye

Note : en complément, l’avis très enthousiaste de Cannibales Lecteurs !

Disponible chez Third Editions
Photogrammes noir & blanc extraits de l’ouvrage

3 réflexions sur “L’Œuvre de Steven Spielberg : l’Art du Blockbuster – Vol. 1

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