Cosmopolis x Maps to the Stars

Dans cette boîte hermétique, flottant inlassablement au fil des rues parmi les embouteillages, Erick Parker (Robert Pattinson) souhaite se rendre chez le coiffeur. Le lieu comme le temps sont pour lui des abstractions. Le jeune homme n’a aucune emprise sur le réel, pourtant il le modèle selon ses caprices. Ses servants (docteurs, gardes du corps, assistants…) lui rendent compte des affres du quotidien, cet espace exogène qui pour lui n’existe plus. Son seul élan d’émotion se caractérise par une larme qu’il verse en apprenant la mort d’un chanteur de Hip Hop. La mort est ce dernier bastion à conquérir, un élément encore incontrôlé donc source de terreur, de mystère (et de délivrance ?) pour le protagoniste.

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Le sociologue Georg Simmel disait que « l’argent est le moyen absolu et le plus significatif des phénomènes de notre temps, dans la mesure où sa dynamique a envahi le sens de toute théorie et de toute pratique ». Ainsi l’argent, qui circule si aisément et de façon immatérielle, transforme les rapports sociaux en des échanges purement mercantiles. Tout est « sans contact », comme nos cartes de crédit, comme la carte des étoiles. Les « stars » inaccessibles nous offrent les vestiges d’un rêve auquel nous n’aurons jamais accès. L’humain n’a pas attendu une pandémie mondiale pour créer de la distanciation sociale, il l’organise de fait pas la virtualisation du monde. Il a muté en quelque chose d’autre, ultime phase de son évolution, où ses doigts effleurent des tablettes tactiles pour plonger un pays dans le chaos, la tête dans les écrans. L’ordinateur, la limousine, ne sont que les extensions de son cerveau et de son corps. Les marchés financiers totalement déconnectés de l’économie réelle, les empires boursiers supplantant l’autorité des Etats, tout cela n’est que le processus logique d’une humanité dissoute dans les réalités virtuelles.

La métamorphose est un thème cher à David Cronenberg. La Mouche en est bien entendu l’exemple le plus célèbre, on retrouve aussi ce laïus dans Existenz, Chromosome 3, M.Butterfly ou encore Frissons. Il récidive donc naturellement dans Cosmopolis, mais d’une façon moins organique, où la technologie supplante les fonctions du corps humain, « l’augmente » comme diraient les partisans du transhumanisme – mais le réduit en fait à la performance. Le corps s’y retrouve dépossédé de sa puissance d’agir sur le réel.

« Tous les ennuis que nous vaut la vie moderne sont dus à ce qu’il y a de divorce entre la nature et nous. » (Isaac Asimov)

Pourtant, tout au long de Cosmopolis, Parker se met consciemment en danger, s’offrant à la mort comme victime consentante, presque excité par ce dernier « grand mystère » de la vie. Un an après A Dangerous Method, Cronenberg poursuit sa quête initiatique sur les sentiers brumeux de la psychanalyse, osant la métaphore filmique des pulsions de vie et de mort, mais ici appliquée à tout un système. D’un autre côté, l’hypocondrie du personnage le pousse à enchaîner une série d’examens médicaux quotidiens. Délire paranoïaque poussant le roi de la finance à l’irrationnelle « rationalité » : tout contrôler lorsque l’on sait que l’on ne contrôle plus rien.

Le film explore cette tendance auto-destructrice et ce comportement suicidaire qui consiste à vouloir se précipiter vers une obsolescence programmée (prédit chez Karl Marx), tout en préservant le système de ceux qui ont des solutions viables et alternatives. L’oeuvre déborde ici de la fiction. Ou est-ce ce culte morbide pour l’argent qui est venu fictionnaliser le réel ? Tout comme dans Existenz (antérieur à Matrix), on ne sait plus trop bien…

Deux ans plus tard, dans Maps to the Stars, Cronenberg exorcise Hollywood, sanctuaire démoniaque dont les espaces-miroir déforment le réel. Machine monstrueuse de propagande culturelle, elle brûle de la même façon que s’embrase la ville dans Cosmopolis. Les deux sphères ne sont-elles pas d’ailleurs auto-alimentées par leur propre vanité ? Dans un des portraits les plus sombres du star system actuel, le réalisateur canadien lacère un mythe tout en unifiant ses protagonistes sous le joug de l’inceste : la grande famille du cinéma. La limousine de Cosmopolis, s’arrête cette fois-ci au pied des tapis rouges de Maps to the Stars.

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Shakespearien dans sa narration, on entrevoit un autre monde qui s’effrite et entraîne avec lui sa propre chute. Un monde où la jeunesse est une fleur qui à peine éclose se voit déjà faner, à l’image de l’enfant-star Benjie Weiss, menacé à 13 ans (après une cure de désintoxication) par un acteur plus jeune que lui. Cronenberg réduit l’heure de gloire à une infinitésimale unité de temps et ridiculise ainsi le culte morbide de la jeunesse, prête-à-consommer, déjà digérée…

Le personnage de Julianne Moore représente la victime possédée par le démon de la vacuité où l’image de sa mère, icône éternelle, plane comme une ombre sur sa carrière. Une plaie qui s’infecte dans le beau, les dictats de l’apparence, la dépossédant de son âme et de sa bienveillance, réduisant cette femme à un vague produit standardisé sur le grand marché du spectacle : périssable, interchangeable… Psalmodiant les vers de Paul Eluard comme une prière ou plutôt comme un rituel d’exorcisme, les personnages entrevoient la liberté à travers la folie et la mort, lorsque tout s’embrase.

« J’écris ton nom ».

Jordan More-Chevalier

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