The Wicker Man

Il est des films peuplés d’ombres, qui se parent de lumière.

Des films où l’obscurité, voire l’obscurantisme, l’horreur, l’angoisse, la menace viennent nous heurter de concert, caché derrière une apparente -et séduisante- clarté visuelle. La lumière du soleil, dont l’exposition peut être poussée à l’extrême, agresse la peau des personnages et gangrène leur cerveau, les poussant alors vers la folie. C’est une nature sublime au sens premier du terme : « qui transcende le beau ». Cette esthétique, composante essentielle du  Southern Gothic, se retrouve aussi dans Les Révoltés de l’an 2000, film d’horreur espagnol de Narciso Ibáñez Serrador, ressorti judicieusement en salles à l’été 2020.

Mais cette lumière peut aussi se révéler plus douce, agréable. Une lumière de printemps, symbole de renouveau et d’espoir, comme dans The Wicker Man, film culte des années 1970 réalisé par Robin Hardy, avec un Christopher Lee au sommet de sa forme pour un rôle qui restera l’un des préférés de l’acteur à la fin de sa carrière. The Wicker Man qui a pour autre point commun avec Les révoltés de se situer sur une île. Ici, c’est un personnage naïf et bigot de policier qui va s’y perdre, le sergent Howie, venu enquêter sur la disparition inquiétante d’une petite fille. C’est précisément ce choix délibéré de la part du réalisateur de livrer un film lumineux de bout en bout pour traiter une histoire tragique, sombre, qui trouble et marque le public lors du premier visionnage.

Souvenir personnel, l’auteur de ces lignes a découvert The Wicker Man avec son père et un ami à une soirée en hommage à Christopher Lee, organisée par un Ciné-club de Montpellier. La projection a lieu dans l’un des plus anciens cinémas de France, qui n’est plus une salle permanente depuis des années mais dont la façade – où sont gravés dans la pierre les mots « Cinématographe Pathé » – témoigne de cette lointaine époque des premières projections. Les films y sont désormais diffusés occasionnellement, comme lors de cette fameuse soirée. Les deux premies films projetés sont, tout au plus, de petites séries B hilarantes par moments, mais toujours très kitsch et grand guignolesques, peu effrayantes, laissant une même impression de fausseté dans la représentation de l’horreur, qui peine déranger. Mais bientôt, en contraste absolu se dessinent sur l’écran les premières images de The Wicker Man, début d’un état de fascination jamais démenti. Une projection dans une copie 35mm d’époque, dont les craquements renforcent encore plus l’étrangeté de l’expérience.

Dès l’instant où il pose le pied sur la petite île fictive de Summerisle, au large de l’Ecosse, le personnage principal, sans le savoir, est déjà pris au piège, embourbé comme avec son hydravion dans une machinerie infernale et pour le moins kafkaïenne. Ce point de départ intriguant use d’un principe connu de la fiction – un étranger arrivant dans une communauté étrange, hostile et isolée -, commun à de nombreuses œuvres, que ce soit dans l’imaginaire d’un Franz Kafka (Le Château) ou dans des films de genre français plutôt méconnus comme Le démon dans l’île de Francis Leroi, 1983. Tout commençait bien pour ce policier pétri de convictions, mais dont l’île va lui faire payer le prix de sa naïveté…

Le film arrive à une époque charnière pour le genre horrifiqu qui gagne en crédibilité, s’éloignant des monstres en carton-pâte EN proposant des films plus profonds et ambitieux? qui parlent souvent de leur époque – et donc L’Exorciste serait le chef de file. Ici, donc, pas de monstres, mais on y trouve une autre forme de déguisement et une horreur bien humaine, bien réelle. Cette monstruosité, c’est d’abord l’obscurantisme qui se retrouve très vite au coeur du projet. Celui que porte en lui le policier, fervent catholique, puritain, outré à la moindre action ou remarque que peuvent lui faire les habitants de cette île coupée littéralement du monde extérieur. Mais aussi celui des villageois qui, s’ils apparaissent d’abord comme de sympathiques fous échappés d’un Tintin plutôt que comme d’effroyables pervers dangereux, se révèlent être les derniers acteurs de rites païens d’un autre âge.

Cette découverte progressive des mœurs des habitants de Summerisle est un choc pour le policier étouffé par ses repères moraux, sa propre vision du Bien et du Mal, incapable d’appréhender d’autres concepts. Le sergent Howie peine à mener son enquête sur la disparition de cette fille dont personne d’autre ne semble se préoccuper – on finit même par penser qu’elle pourrait ne pas exister, quitte à ne plus vraiment situer qui est le plus fou dans cette histoire. La musique que l’on entend en ouverture du film joue un rôle important dans la dérive progressive et la fascination exercée par The Wicker Man. Elle est un autre élément d’originalité par rapport à la majorité des films d’horreur : de la folk/pop d’époque – les années 1970 – qui accompagne les premiers pas de Neil Howie, campé par Edward Woodward (presqu’homonyme du fameux « plus grand mauvais réalisateur de tous les temps » et maître de la série Z : Ed Wood !). Une musique folk typiquement britannique qui rappelle un peu l’esprit de liberté de la décennie précédente, les années 1960 et leurs utopies peu à peu balayées, en même temps qu’un lointain passé, celui des racines et des traditions profondément ancrées dans ces paysages intemporels d’îles écossaises.

On note d’ailleurs une forte influence des thématiques païennes, occultes et d’une certaine mythologie nordique ou germanique dans la musique pop, notamment chez Led Zeppelin. Cela a été traité de façon passionnante et érudite par l’excellent exégète Pacôme Thiellement dans Cabala : Led Zeppelin occulte (éd. Parole et Silence, 2009). Via travers cette mise en scène progressive des rites païens qui peuvent s’apparenter à de la sorcellerie,  le film de Robin Hardy s’inscrit dans ce territoire méconnu du cinéma d’horreur : le « Folk horror ». Un sous-genre dont le corpus filmique est encore assez mince mais dont on a vu deux excellents exemples récemment au cinéma, par le même réalisateur : Hérédité (2018) et surtout Midsommar (2019) d’Ari Aster. Ce dernier s’inspirant ouvertement de l’oeuvre de Robin Hardy, jusqu’à ce motif du feu comme grand final purificateur.

Saluons également la présence de celui qui fait en grande partie la force du film : Christopher Lee. A l’image du réalisateur Robin Hardy et son scénariste, Anthony Schaffer, qui vont chercher à se débarrasser des tics propres au film d’horreur, Christopher Lee s’amuse à casser son image tout au long de The Wicker Man. D’ailleurs, le légendaire acteur Britannique préfère employer l’expression française de « film fantastique », comme il le dit notamment dans un entretien avec John Landis dans son livre Créatures fantastiques et monstres au cinéma, paru en 2012.

« J’ai fait des films avec Boris Karloff, qui, comme moi, s’était fait un nom en interprétant un monstre. (…) Ce que lui et moi devions faire, c’était rendre l’incroyable crédible. (…) Je n’aime pas le mot «horreur» parce qu’il évoque quelque chose de méchant, d’effrayant, d’épouvantable, de mauvais et de vil. (…) Je n’ai jamais considéré mes films comme des films d’horreur. J’ai toujours essayé de donner l’impression que mes personnages ne pouvaient pas s’empêcher de faire ce qu’ils faisaient. Et Boris faisait la même chose. » — Christopher Lee

Le légendaire comédien ne fait son apparition – magistrale – qu’au milieu du film lorsque le policier vient lui demander l’autorisation d’exhumer ce qu’il pense être le corps de la fillette disparue (1). Dans cette séquence, il se défait complètement de son costume de Dracula ou de toute autre créature fantastique monstrueuse, repoussante, pour endosser le rôle du chef charismatique de la petite communauté, se plaisant à casser son image à chaque plan. Il reste cependant, comme Dracula, un aristocrate aux langage châtié. Dans cette séquence, on sent particulièrement que deux mondes séparent les deux personnages, tant la discussion tourne autour de la religion, puis de Dieu lui-même – « un fantôme » pour le Lord.

« Dieu est mort »…

The Wicker Man se fait alors de plus en plus effrayant, taillé dans une atmosphère malsaine, macabre et oppressante sans pour autant abandonner son aspect diurne, ensoleillé. Un soleil et une lumière de printemps pourtant bien pâles. En réalité, le tournage s’est déroulé en hiver, ce qui confère à l’image cette ambivalence, cette froideur qui contraste avec les costumes et les masques de carnaval aux couleurs criardes. Car, dans le dos du sergent Howie se prépare une grande célébration, celle du solstice de printemps, à laquelle participe tout ce microcosme pour honorer la déesse des récoltes.

Des costumes et des masques qui trouvent toute leur place à la fin du long-métrage, moment d’intense terreur justement parce qu’elle ne cherche pas directement à montrer l’horreur telle qu’on la conçoit d’ordinaire, avec effusion de sang, corps en putréfaction, nuit d’orage, vieux manoir hanté et cimetière brumeux Rien de tout ça ici, l’horreur naît simplement dans l’esprit du spectateur du fait de ce qui est sous-entendu et du suspense qui règne : le personnage principal est en effet caché au milieu de cette procession païenne dans un costume de polichinelle, d’idiot du village, aux côtés d’un Christopher Lee en pleine transe, cassant de plus belle son allure de prince des ténèbres. Mais ce que le pauvre policier ignore, lui qui se pense encore plus malin que ces joyeux fous, c’est que tout le monde sait qu’il est caché sous ce costume et qu’il marche droit vers un monde où il n’a plus pied…

Comme dans Midsommar, l’horreur qui s’installe est sous-jacente, progressive – transe amplifiée par la musique intra diégétique (émanant de personnages à l’écran, qui l’entendent donc aussi) et les percussions. Sur cette musique folklorique, Howie/Polichinelle est forcé d’entamer une danse bouffonne. BIzarre, car drôle et effrayant à la fois, à l’image de Christopher Lee, les cheveux longs, maquillé et habillé de façon très colorée, qui danse également, dans une gestuelle grostesque et funeste.

Quelque part, c’est une horreur qui fait appel à notre inconscient collectif, car puisant dans des rites anciens, des traditions d’un autre âge, par l’idée aussi de l’appartenance extrême à une communauté, jusque dans sa façon d’illustrer la mort.

C’est carnaval. L’aube de l’humanité.
Un sentiment archaïque.
« Gott ist töt ! »

Thomas Aunay

(1) Ce texte porte sur le premier montage. Le film en connu trois dont la version « director’s cut » qui redevait ressortir en salles en 2020, où Christopher Lee apparaît plus tôt.

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